Un manifeste pour une possible musique à venir par le compositeur (sous l’alias Kassel Jaeger) et théoricien franco-suisse, directeur du Groupe de recherches musicales de l’Institut national de l’audiovisuel (INA GRM) et producteur à France Musique.


La musique à venir

François J. Bonnet

_____________

Éd. Shelter Press

septembre 2020

56 pages

_____________


Ceci n’est pas une étude. C’est un manifeste qui porte une étrange conviction : que la musique reste à découvrir, qu’elle est encore cachée. Qu’elle apparaît pourtant, parfois, mais le plus souvent de manière lacunaire. Et que ce que nous avons jusqu’alors désigné par « musique » n’est en fait qu’un préliminaire, un prodrome. Que toutes les musiques jusqu’alors produites ne sont que des simulacres, des rituels appelant la musique. Cela peut sembler fou, importun. Voici tout l’enjeu de ce texte : rendre cette affirmation lisible, compréhensible et peut-être même, pour une certaine part, acceptable. Et en voici l’aspiration : formuler, à partir d’intuitions, un possible pour une musique à venir. Que cet obscur devenir se dessine, trait à trait, que cette musique à venir se forme, peu à peu, à travers un faisceau de présomptions, à travers la lecture d’une histoire multiple, à travers l’examen de paradigmes néfastes qui ont porté la musique loin d’elle-même. Que la subjectivité d’une écriture, à travers ses croyances, ses erreurs, ses partis pris, ses injustices et ses certitudes branlantes, parvienne tout de même à jeter une lueur singulière et inspirante sur l’idée de la musique, telle est finalement l’ambition des lignes à venir.

(Préambule, p. 9)


Le plus souvent, la musique n’est pas musique. Elle est promesse de musique, préparation, évocation. […] Aussi, cette promesse de musique n’a été le plus souvent, comme toute promesse, que faite pour être rompue. La musique, en tant que promesse, manque toujours de devenir musique. (Une promesse, p. 10)

L’avatar musical que l’on nomme musique, c’est la rhétorique de la musique à venir, radicale et muette. […] L’apparition de la musique peut tout de même être facilitée par ces mêmes avatars qui la trahissent et nous en éloignent. […] La musique est alors évocation, invocation d’une forme libérée d’elle-même qu’est la musique à venir. (Avatar et rhétorique, p. 17)

On ne peut pas définir la musique mais on peut essayer d’invoquer un devenir pour elle. (Indéfinir (bis), p. 23)

La musique s’efface perpétuellement. Ce qui perdure, en musique, n’est pas la musique. Ce qui persiste, c’est sa représentation, son contexte, sa réminiscence. (Musique et effacement, p. 27)

La musique est une advenue dont on ne peut pas se revendiquer. On ne crée pas la musique. Elle advient. L’enjeu de toute création musicale doit être d’inventer les conditions de possibilité d’une apparition du musical, mais rien d’autre, car c’est là tout ce qui est en son pouvoir. On ne crée pas la musique, on crée des environnements propices à son advenue. (Advenue musicale, p. 31)

À chaque instant, la musique se décompose. Et ce, d’autant plus qu’elle est composée. (Décomposition, p. 32)

La musique n’a pas vocation à se déployer sur le champ du politique. Mais l’expérience qu’elle propose, si l’on en tire toutes les conséquences, produit une résonance politique. (Musique et politique, p. 34)

Un mécanisme d’appréciation ou d’adhésion authentique ne saurait trouver sa raison dans une logique d’apprentissage ou d’acculturation. Car l’expérience de la musique n’est pas une expérience d’échange. Elle n’est pas transaction du sensible. Être face à la musique c’est être face à la mort, en tant que la mort est l’absence de signe. (Apprendre la musique (memento mori), p. 37)

Il n’y a pas de geste musical. Le geste annule la musique en tant qu’il parle pour lui même. (Musique et geste, p. 38)

La musique prétend à la clarté. La musique à venir à l’obscurité. (Musique et obscurité, p. 43)

La musique à venir est sonore. Non seulement le son la rend perceptible et possible, mais elle se déploie dans le son lui-même, à travers ses qualités, ses tressaillements, à travers ses apparitions, ses évanouissements, ses accrétions, ses érosions. (Manifestation(s) du sonore, p. 49)

La seule radicalité qu’on puisse admettre est celle des seuils. Au seuil où le langage s’effondre se trouve, peut-être parmi d’autres, celui de la musique. (Ontologie fantôme de la musique, p. 50)

La musique à venir propose une expérience d’être au monde hors des déterminations du langage. Dès que le langage s’investit dans le devenir musical, il n’y a plus musique. (Musique hors langage, p. 50)

La musique est l’art de mettre en échec le langage. (Échec, p. 51)


Addenda : Extraits de l’interview de Jérôme Noetinger à François Bonnet, parue sur Revue&Corrigée n. 127 (mars 2021)

Je ne suis pas sûr que ce que j’évoque comme musique à venir puisse se « chercher », en fait. Je dis juste qu’elle doit pouvoir advenir aussi dans le terreau musical préexistant, mais sans exclure d’autres terreaux possibles. C’est-à-dire que le domaine socioculturellement déterminé de la musique telle qu’on la connait n’a pas de caractère rédhibitoire pour l’advenue d’une musique nouvelle. […]

Ce qui ne fait pas musique, en musique, c’est tout l’appareil « légitimatoire » […] qui parfois se substitue complétement aux enjeux musicaux. […]

[…] il y a de la musique qui advient. Mais cette advenue est aussi une rencontre avec un auditeur, un moment, une disposition. […]

[…] la vie est aussi celle du cogito, de la raison, des mots et des discours. Disons que cette musique à venir que j’évoque s’épanouit sur l’autre versant de la vie, la partie muette et « pathique » de l’existence. […]

Dans le livre, j’essaie de détacher cette idée de musique à venir de toute forme définie, de toute esthétique particulière, et je pense honnêtement qu’elle peut advenir à travers différents chemins. […] tout réside dans l’enjeu de la musique présentée, sa motivation secrète – à savoir si elle est portée pour elle-même, ou si elle est prétexte. […] l’advenue d’une telle musique dépend moins d’une question esthétique, que du fait qu’elle soit gouvernée (dominée) par une rhétorique, ou pas. […]

Publicité